Anne a-t-elle eu tort de refuser d'épouser le Capitaine Wentworth à 20 ans ? D'un seul et même cri du coeur, nous avons tous envie de crier "Oui". Et pourtant...
Plus j'y pense, plus je connais le roman et Jane Austen elle-même, moins la réponse me paraît si évidente. En fait, j'en viens même plutôt à penser qu'elle a fait le bon choix, et également que c'est l'idée défendue par l'auteur. Regardons ça d'un peu plus près, voulez-vous ?
1. Le contexte : le refus du père d'Anne de la voir épouser le jeune Frédérick Wentworth (ou du moins de la soutenir dans ce choix) relève purement et simplement de l'égoïsme et de la vanité. Celui de sa marraine repose sur des arguments bien différents. Certes, l'argent n'y est pas étranger, mais c'est une variable que les femmes de l'époque ne pouvaient vraiment pas se permettre de négliger. Imaginons qu'Anne et Frederick se marient, qu'elle tombe enceinte, qu'il parte en mer et périsse. Que serait-il advenu de la pauvre Anne et de son enfant... Je comprends qu'une personne qui l'aime, qui a veillé sur elle depuis la mort de sa mère, n'ait pas envisagée sereinement cette union.
2. La Persuasion : Anne est-elle vraiment cette petite chose fragile qui s'est laissée persuader d'abandonner l'amour de sa vie ? Ou est-elle une jeune femme raisonnable, intelligente, qui trouvait difficile de se marier dans ces conditions et contre l'avis de sa famille et qui peut-être, je dis bien peut-être, s'attendait à ce que son fiancé se batte un peu plus pour elle... J'en profite d'ailleurs pour rappeler que "Persuasion" n'est pas le titre choisi par l'auteur.
3. L'Orgueil : On pourrait penser que l'orgueil est ici du côté des Elliot mais Frederick n'est pas tout blanc dans l'histoire. Il aurait pu se démener, prouver à Anne qu'il était digne d'elle, lui proposer de longues fiançailles, revenir une fois qu'il aurait eu les moyens d'entretenir une famille mais s'il ne fait rien de tout cela, c'est qu'il est blessé dans son orgueil.
4. Le point de vue de l'auteur : alors avec Jane Austen, l'ironie, les sous-entendus, c'est peut-être difficile de savoir qui elle juge responsable mais analysons les faits : Anne a beaucoup souffert, elle s'est un peu éteinte mais elle semble en même temps en paix avec sa décision, et résiliante. D'un autre côté, nous avons le Capitaine qui commence par l'insulter, se montre froid avec elle, flirte sans retenue avec une jeune femme et clame haut et fort qu'il aime les caractères décidés. Et quels sont les conséquences de ses actes ? Une jeune femme frôle la mort et lui, échappe de justesse à un mariage dont il ne veut pas. Pour moi, il est assez facile de deviner ce que pense l'auteur sur la conduite de l'un et de l'autre.
5. Jane Austen : enfin, j'ai toujours fait un parallèle entre Persuasion et ce que l'on suppose être l'histoire d'amour de jeunesse de Jane Austen avec Tom Lefroy. Pour moi, c'est comme si elle exprimait à travers ce roman, comme j'en ai déjà parlé dans un article précédent, la façon dont elle aurait aimé que les choses se terminent pour elle. Tom Lefroy lui, une fois sa situation établie, n'est jamais revenu pour épouser Jane. Il me semble aussi aujourd'hui, qu'avec beaucoup de mélancolie, dans un texte qu'elle a écrit quelques moins avant sa mort, elle exprime à quel point elle comprend ce que cette union aurait eu d'imprudent...
6. La conclusion : et si tout cela ne vous a pas convaincu, je vous invite à relire la fin du roman et la discussion d'Anne et Frederick précisément sur ces sujets.
Alors, pensez-vous toujours qu'Anne a eu tort de dire non au Capitaine ?