Après avoir fait cette indispensable mise au point sur Facebook, je me dis qu'il est quand même très important d'en laisser une trace, le sujet est trop important, c'est pourquoi j'ai décidé d'en faire également un article ici.
Nous allons donc parler traduction. Pour résumer, si vous avez lu Jane Austen, dans une traduction antérieure à 1970, vous n'avez jamais lu Jane Austen. Bon je dramatise mais... On me pose régulièrement la question de la traduction à choisir pour lire Jane Austen. Longtemps, je me suis contentée de répondre que je n'étais pas une experte dans ce domaine mais petit à petit je me suis renseignée, j'ai découvert des choses qui m'ont horrifiée et en préparant cet article, je me suis rendue compte que ce n'était que la partie émergée de l'iceberg.
Les premières traductions de Jane Austen en français arrivent très rapidement après sa publication anglaise mais à l'époque, la fidélité à l'oeuvre, c'était pas trop leur truc. Pour commencer, des passages entiers ne sont pas traduits, l'histoire est tronquée, mais il y a pire... Prenons deux cas particuliers.
Mme de Montolieu. Elle a "traduit" Raisons et Sentiments en 1815 et Persuasion en 1821. Il serait plus juste de dire qu'elle les a adaptés en fait, réécrits, d'ailleurs, seul son nom à elle apparait sur la couverture des livres. Wikipédia le dit très bien donc je les cite : "Mme de Montolieu, à l'imagination romantique et au style plein d'emphase et de sentimentalité, décide d'« enrichir » pour son public la trop sobre élégance du style de Jane Austen." Ainsi, elle « traduit librement » Sense and Sensibility, n'hésitant pas à ajouter des détails de son cru et à réécrire le dénouement. Raison et Sensibilité, ou les Deux Manières d'Aimer est un roman rempli de bons sentiments d'où sont gommés l'humour et l'ironie de l'œuvre originale. Isabelle de Montolieu traduit tout aussi librement Persuasion et ajoute, à son habitude, des éléments romanesques et de la sentimentalité." Je sens que vous commencez à comprendre l'étendue du problème.
Henri Villemain traduit Mansfield Park en 1816. "Le roman est drastiquement raccourci et le style de Jane Austen est très altéré, voire censuré."
Alors, je sais, vous vous dites que c'est absolument scandaleux mais que tout cela remonte à deux siècles en arrière. Et c'est là que le pire arrive, et je vous présente toutes mes excuses de mettre fin à vos illusions mais ces traductions sont toujours utilisées aujourd'hui par de différents éditeurs. Et après on s'étonne que Jane Austen passe pour écrire des romances à l'eau de rose... Là où ça se complique encore, c'est que si vous ouvrez votre exemplaire d'Orgueil et Préjugés, je suis prête à parier que vous aurez beaucoup de mal à trouver l'année de la traduction... Je parie également qu'aucune mention ne vous avertira que le texte n'est pas véritablement une version intégrale... Alors comment savoir ? Vous pouvez déjà fuir si vous voyez inscrit Isabelle de Montolieu ou Henri Villemain, là, où est même pas dans du Jane Austen donc vraiment par pitié, ne les lisez pas. Sachez également que la traduction d'Orgueil et Préjugés de Leconte et Pressoir, tronque des paragraphes entiers, comme celle de Félix Fénéon pour Northanger Abbey, Pierre de Puligua pour Emma ou de Mme Letorsay pour Persuasion. Après, bien sûr, certains éditeurs utilisent d'anciennes traductions (autres que celles que je viens de citer) mais les complètent et/ou les retravaillent. Difficile alors de dire quelle en est la qualité. De même, je n'ai pas lu et encore moins comparé toutes les traductions récentes, je ne peux donc pas véritablement en juger la qualité mais ces dernières années, la fidélité à l'oeuvre à quand même pris de l'importance. Et si vous cherchez encore quel exemplaire acheter, vous trouverez quelques pistes dans les illustrations de cet article...
Voilà, et si un éditeur a envie de nous expliquer ses choix, ou pense que je me trompe, je serais vraiment ravie d'en discuter et il peut répondre en commentaire bien sûr.
Update : si vous vous posez des questions sur les éditions Cranford, les Romans Éternels, je leur ai consacré un article entier.